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Le respect du paysage

Paxos, GR, 2024

Sobriété et éclat s’accordent pour définir cette architecture. La maison, inscrite entre rochers et rivages de Paxos, s’efface pour laisser la parole au seul paysage, celui des verts des collines et celui des bleus mêlés de la mer Ionienne.

Texte & Photographie: Jean-Pierre Gabriel

C’est depuis une embarcation que l’on saisit les lignes de force de ce projet. L’architecture est englobée par le paysage dans lequel elle est venue nicher. La construction s’étire, se déploie, se love ; elle s’insère entre le jardin et la forêt, une évidence confirmée par les toitures plates amplement végétalisées. « Nous avons voulu offrir une expérience totale, commentent les protagonistes du studio anversois Gestalt Architects, par laquelle on est invité en douceur à laisser son quotidien au lointain. » Pour la ressentir pleinement, peu après avoir quitté le port de Gaios, la petite tout-terrain emprunte les chemins escarpés qui descendent de la colline, pour découvrir un escalier encaissé, qui lui-même s’ouvre sur un patio. Dès cet instant intérieur et extérieur se confondent, comme si l’espace de vie représentait une transition entre ce patio et le jardin, celui-ci annonçant les bleus de la mer.

« On se trouve sur la côte orientale de Paxos, face au continent à la hauteur de Parga, soit au centre de l’Épire. » Gert Voorjans, qui co-signe les aménagements intérieurs, aime souligner ce temps d’approche. « La magie de Paxos commence à Corfou. Descendre de l’avion, fouler le tarmac de l’aéroport, rejoindre le port en quelques minutes. Le bateau taxi vous attend, le capitaine réveille les moteurs. Paxos, c’est d’abord cela, le temps de la traversée, deux heures qui vous éloignent des terres avant d’aborder l’île verte ainsi dénommée parce que couverte d’un million d’oliviers. »

La rumeur affirme que ceux-ci, qu’ils soient bien taillés et charpentés ou laissés à l’état sauvage ont fait la richesse de l’île dès la période vénitienne qui s’est prolongée ici durant quatre siècles. Car Paxos c’est cela, un océan de verdure entouré des eaux de la mer Ionienne.

La situation géographique a été un facteur déterminant dans l’implantation de l’architecture. La crique au bord de laquelle la maison s’ancre est orientée nord-est. Non seulement le lever du soleil côté terre ferme offre des instants de toute beauté, mais cela signifie aussi que la maison elle-même est rapidement ombragée. « D’un point de vue purement technique, nous avons pu ménager une ventilation naturelle, d’où les grandes baies vitrées coulissantes qui s’effacent dans les murs », expliquent les architectes.  Cette gestion sans intervention extérieure de la fraîcheur est vue comme un manifeste anti-tech. Elle est renforcée par l’ensemble des toits végétalisés qui, c’est scientifiquement prouvé, abaissent les températures ambiantes de plusieurs degrés.

L’essentiel des chambres et l’espace de vie sont tournés vers la mer. La végétation - Les jardins ont été conçus par Siegbert van Reeth qui a lui-même supervisé les plantations - , à commencer par celle jouxtant la maison, confirme la volonté d’immerger le bâti dans la nature existante. Associé aux premiers pas de l’implantation architecturale Jean-Philippe Demeyer a entre autres conçu pour ce projet les céramiques originales faites main en Italie. Leur camaïeu de verts animés de notes orangées encadrent les ouvertures côté mer et forment donc un lien supplémentaire entre la terre et l’eau.

Pour Gert Voorjans « Paxos ne ressemble à aucune autre île grecque. Mis à part l’ambiance à laquelle on s’attend d’un tel lieu lors de l’accostage à Gaios, on se trouve loin des clichés. Cet état d’esprit est amplifié ici par les architectes de Gestalt, qui ont volontairement effacé le construit. Nous avons imaginé les aménagements intérieurs dans ce sens : le mariage de la sobriété monacale et du luxe, celui-ci résidant dans la pureté des matières et des matériaux pureté qui se révèle au toucher : l’enduit couleur avoine des murs, les lins de Design of the Time, dont quelques-uns sont lavés à la chaux, le bronze artisanal des poignées de porte. « En d’autres termes, nous nous sommes placés dans une Grèce atypique, commente Gert Voorjans. Nous nous sommes extraits des canons de couleur, de ce bleu et blanc omniprésent, pour s’inspirer de la nature. Chaque chambre a sa teinte : la sauge, le feuillage de l’olivier, l’ocre de la roche… Il est clair que la relation, il faudrait dire la conversation, avec l’extérieur est omniprésente. Allongé sur le lit le regard est plongé dans une petite oasis. La cuisine, de son côté dispose de deux ouvertures, l’une vers le patio, l’autre, la fenêtre au-dessus du plan de travail et son évier en teck, forment un tableau que Siegbert van Reeth a souligné par ces troncs nu d’eucalyptus et les cladodes des figuiers de barbarie. « En fait, Edwin Lutyens plaçait des éviers en bois dans les offices attenant aux cuisines. Au-delà de la beauté et du toucher du bois, il y voyait un sens pratique … on y cassait moins de vaisselle que dans un évier en pierre ou en céramique. »

Pour confirmer ces choix proches de l’arte povera, le dialogue avec les propriétaires a été fluide. Gert Voorjans a en effet agencé leurs deux autres maisons : l’une à la côte belge et l’autre à Anvers. 

En quittant ces lieux, avant de rejoindre le bateau qui vous ramènera à Corfou, on se remémore la légende de Paxos. En effet, dans l’imaginaire des mythes grecs, Paxos naît d’une passion. Poséidon, d’un coup de son trident, la sépare de Corfou et l’emmène quelques lieues vers le sud afin de créer un nid d’amour qu’il partage avec Amphitrite, son épouse.

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